Poésie en trio

A l'origine de cette aventure poétique en trio, le challenge lancé par Marie-Pierre pendant le confinement du printemps 2020 pour nous sortir de notre enfermement, rester reliées, et laisser la place à l'imaginaire dans nos vies de recluses envahies par les tâches matérielles: il s'agissait de produire chacune une "oeuvre" selon notre expression spécifique (la poésie pour Marie-Philippe, la danse pour Marie-Pierre et la musique pour Pascale) et de se l'envoyer à un instant donné toutes en même temps pour ne pas être influencées par le travail des autres. Ensuite, il était prévu que chacune réponde à la proposition des deux autres. On aurait donc au final trois oeuvres complètes comprenant danse, musique et poème.

Le résultat obtenu, après quelques inévitables entraves aux consignes de départ, est présenté ci-après.


Le plus étonnant pour moi a été la correspondance immédiate de nos propositions initiales alors que nous ne nous étions pas concertées. Voici ce que j'ai eu envie d'écrire en rassemblant nos travaux pour cet article:

"C'est sans nous concerter que nos poèmes écrivent le mieux le contenu de nos âmes, je veux dire: c'est ton poème sans que tu aies vu le mien qui reflète le mieux et le plus clairement le secret de mon âme...Etonnant et tellement réjouissant!"

Poèmes de Marie-Philippe Deloche:

1. Sonnet , sonate , renversés


Confinés, en temps retranché

Monde à l’envers, tête en l’air,

La terre marche sous nos pieds


La musique dans ce silence

Ce serait des cloches , des oiseaux,

Des murmures, ce serait ton souffle ?


Rejoue le triangle amoureux

Ressemblances et faux-semblants

Un désir naît mais sur les ruines

D’une histoire d’amour qui se tait


Corps à corps aux bords des pages

Plages sonores dans les marges

J’écris, tu composes et elle danse

Sonnet, sonate, renversés


2. Haïkus découpés


Désir en creux

Les objets fuient

Il court, il court, le furet…


L’être ne serait qu’enfin ( qu’en vain…)

Sur les confins

A jouer ?


Evider visages du jouir

Les jambes prises à son cou

S’évanouir 


3. Ritournelle éraillée


Trios, duos, solos,

Surtout éviter le zéro

Chiffre trop rond

Pour que n’adviennent

Les os, les eaux,

et les Oh !!

Des zozottes


Trios, duos, solos

Papiers, cailloux, ciseaux

Des ritournelles

Retour d’enfances

Retours de plage

Où s’enrayent

Le sable et les coquillages


Trios, duos, partis solos

Autour de tes jambes

De mes vers

Du souffle nu

Arbres géants

Hommes et femmes

Dans la forêt


Vidéo "harmoniques du réel": https://youtu.be/pV9wj93XOzE

Vidéo réalisée le 19 juin 2020, en sortie de confinement. Danse, montage vidéo: Marie-Pierre Boullez. Texte, voix, son: Pascale Lazarus.

Cette vidéo est la réponse dansée à la proposition musicale "Harmoniques du réel" de Pascale Lazarus sur les textes suivants (carnets 2018): 


Loin ton mouvement loin de moi je m'étonne et m'attarde toujours transie de froid

rêvant d'un parchemin palimpseste de terre verre couturé partout renversé laissé planté là

minute d'effroi Terre mère terre bannie jouissance divine lac libéré de tes mains


Ivre j’erre à la dérive

j’invoque ta prière

déluge d’ivresse libre

Cachée sous les décombres d’un monde


Crachin d’automne au cratère vide

Crédule cataclysme d’éphèbes nus

roulant sous l’opprobre


Ta robe recouverte d’or

rutile

Oraison d’une île éphémère


Ton image, ta voix

Torrent d’armes en larmes


Mon corps se réunit

comme en réponse à l’oubli

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Je vogue vers mon If

Frêle esquif

Amour asphodèles folles d’elle

Sans ailes


Deuxième proposition de bande son:https://soundcloud.com/pascale-lazarus/et-fait-mere

Sur les textes:

Et fait mère

Je t'ai fait affamé – enflammé -

Dans la forêt des regards

Et fait mère affolée,

Foulée forte !

Vision :

À la surface de la mer,

Des yeux comme des poissons

Empoisonnés sur le paillasson.

Partons sans rémission !

Du vermillon au vermicelle

Paraissait celle, paressait celle...

Des murmures aux larmes endiguées.

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Là, dans la rue,

Sur le sol,

Au bord du trottoir nu :

Un espoir rendu au néant

Dans la poussière et le sang.


Vidéo danse proposée par Marie-Pierre avec la réponse en son de Pascale. Danse: Marie-Pierre Boullez; voix, musique, montage vidéo: Pascale Lazarus.

Réponse en mots de Pascale:

Et pourquoi ça me plie?

Aux larmes,

À l'affolement

des feuilles qui tanguent


Les branchages cèdent

À l'infini des brisures de printemps

Et Mehdi chante les Beatles

Chante la vie

À côté de ma chambre


Charmant artifice de fête

Farandole d'amants

Réminiscence des vagues d'Oran

Au temps où

Restes d'errances vertes

Racines du temps rouge


Les rouleaux d’abreuvoirs...

Que représente pour toi

Cette raréfaction,

Cette errance rebelle?

Réinventer toujours,

Rêver

M'enroulant au tour

D'amour


Je sais rêver avant que d'être

Je sais semer,

Me dresser droite

Et rebelle

Rythmée,

Froissée, défroissée

D'effroi même

Si tu laisses ma maison

Venir jusqu'à toi...


Ton petit marche-pied,

Ton petit œuf de Pâques,

Lisse et doux

Poli petit poussin de lin,

de laine,

de lait

A milk liquide

À l'auberge douce


Marche sur tes mains

D’Ève sans les pieds

Un œuf en naissance,

En connaissance


Me laisser nue

En myriades d'offrandes


Réponse de Marie-Philippe:

" Et pourquoi ça me plaît

ces brisures

de printemps

d'enfance

de jeunesse


Amours en fuite

zestes d'oranges

amères


Tour de potière

façonne, érige

ces tours d'où pendent

longs cheveux

de Raiponce"


Réponses de Marie-Philippe à Marie-Pierre :

1. Sortir de l’oeuf, du désastre

Éclore et être

Coquille cassée, masque tombé

Et cette douceur de poussin

qui vient de naître


Rose Solo, Rose concerto

Reçoit sa musique et ses gestes

Émerveillée de tant d’altérité

risquée, donnée.


2. Résurrection ?

Madeleine retourne au jardin

Puisque le tombeau est vide





Vide ?

Les quatre lettres de l’effroi

De l’interdit de toucher


Pourquoi pleurer Rose solo

Si aucun pavillon d’adresse

Ne t’entend ?





Réponse de Marie-Philippe à Pascale :

1. Éphémère dis-tu ?

Pourquoi pleures-tu au bord du violoncelle


Le jardinier des larmes fait pousser

Le désir jamais assouvi

D’un amour


Splendeur fugace pour affronter

L’invisible


2.A la surface de la mer

Le regard se cogne sur celle

Qui n’a aucun creux d’arraison


Se cogne et glisse

Jusqu’aux bords

De la lettre qui revient vide


Mais enveloppe le corps

La plage des sons

Le cri de naissance