Polyphonie en temps de confinement : 1ère voix

Polyphonie en temps de confinement


Première voix : la nature

Voilà ce que j'écrivais dans mon cahier d'esquisses le 9 mars 2020, environ une semaine avant le confinement :

« Hier dans le tram, envie de musique. Je m'aperçois que si je veux ne pas être dans le convenu, c'est en regardant les arbres que j'y arrive. Ils me rappellent mon essence, m'apparaissent comme la forme la plus libre de la vie, la vérité de la vie, l'originalité fondamentale, essentielle, au milieu des constructions humaines. Ce sont eux qui me guident vers moi-même, vers cette « résistance » au lieu commun, au convenu, au déjà entendu dont parle Claude Ber (l'acte artistique comme « NON », référence à Deleuze : « dès qu'on crée, on résiste. L'art c'est ce qui libère la vie que l'homme a emprisonnée »). Peut-être que ces arbres vivants, en partie en fleurs, sonnent comme une métaphore de cette vie emprisonnée par l'homme autour d'eux : les immeubles, les voitures...


Aujourd'hui, c'est nous qui sommes emprisonnés, et la nature reprend ses droits, nous regarde en maître.

D'habitude, c'est dans l'agitation du réel que m'apparaît la nécessité de cette fenêtre sur le calme, la nature, que représente le poème. Mais là, la nature est devant nos yeux à tous. Pas besoin des mots pour nous la rappeler, pour l'invoquer. C'est nous qui sommes confinés, c'est elle qui nous rappelle. Nous sommes pauvres et faibles, enfermés, elle est forte et vivante, elle reprend ses droits sans le savoir. Elle existe sans qu'on la gêne et nous sommes forcés de la contempler. J'ai l'impression que c'est le merle qui me regarde à travers la baie vitrée du balcon, étonné que personne ne sorte.


28.03.20 : Un chevreuil est venu en bas de notre immeuble ce matin à 7h30, sur le parking... C'est Isabelle, ma voisine-amie qui l'a vu et ma envoyé une photo. La nature reprend ses droits.

Et nous nous taisons, nous observons. Les oiseaux chantent à tue-tête, est-ce plus qu'aux autres printemps ? En tout cas, on les entend mieux, certainement : tout est tellement plus calme. La dame en fauteuil du n°8 croisée chez le boucher m'avoue, en bonne soixante-huitarde « je jouis du confinement ! C'est tellement calme ! ». Pas un chat dans la rue, mais tout de même la rumeur de l'autoroute qui me parvient : quelques voitures circulent donc.


Attendre que la vague passe et essayer de ne pas être dedans.


29.03 : Avons vu un faisan sur la route en allant à la vierge noire au cours de notre ballade réglementaire. Nous sommes cinq dans l'appartement : un orgue à 5 sons, plein, fort. Mehdi nous donne la force. Pablo, la faille créatrice ? Qu'y-a-t-il sous le chapeau de la vieille dame ?

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Dessins de Pablo Lazarus


Des oiseaux, un nid d'oiseaux.


Ils règnent en maîtres ces oiseaux, enfin chez eux, à chanter à pleins poumons : « - les hommes se taisent et nous chantons, surpris de cet espace sonore laissé libre. Nous essayons, mais oui, nous sommes seuls à chanter. Quelle jolie sonorité ! Dans l'espace libre de nos rêves ». Un chevreuil, un faisan, l'humanité qui se tait les fait se sentir chez eux, sans peur. Où sont passés les hommes ? Les mauvaises herbes poussent dans les parcs, la brume et le vent reprennent leurs droits, le soleil aussi. L'air est pur. On va pouvoir enfin respirer à Grenoble. Si paradoxal que ce soit, c'est à cause d'un virus qui asphyxie.


Nos poumons, nos mots. Mes mots parlent, d'emblée

D'un territoire sans fin, d'une terre immaculée

D'emblée sortent les vrilles du réel

Authentifiées à la suite des ours

Pris au nom du monde,

Attentat cataleptique.


Mes mots peuvent-ils encore être prophétiques ? Ça serait terrible, en ces temps de catastrophe. Je n'ose risquer les mots, les laisser venir. Je sais trop qu'ils portent prophétie et n'ai pas le courage de la révéler en ces temps de catastrophe. Refuge dans le réel, l'action pour se protéger, protéger les miens, au mieux.


Il disait que jouer Bach

Était sain,

Que l'eau des phares

Pourrait remplir

l'étendue du printemps...

N'avons-nous jamais retenu

à ce point la toile du présent ?



Six jours et six nuits

Aux alentours des portes blêmes,

N'a-t-on pas sursauté

Pour retenir juste à temps

L'envolée du printemps ?



Cerbère aux dents crochues,

Tu attends l'armure du vivant,

L'âme emmurée retient

Ses larmes et ses murmures

Si pathétiques et si tragiques.

À l'offrande souffle un vent de néant,

Notre amour en réserve,

Peut-on vraiment rêver quand

Rien n'est possible ?


Espérons que les mots grignotent

Les murs comme des charançons,

Des chars en chanson !


Les mots du confinement en anglais : Stay Home et Take Care

Moi qui avait peur d'être prophétique, je découvre maintenant que le titre « Care Rhapsody » de mon trio l'était. Mon cheminement intérieur de pensée rejoint l'actualité, concerne aussi le monde. D'ailleurs, to care pourrait aussi se traduire par « se sentir concerné ». Le soin, c'est ce qu'il y a de plus important maintenant, mais aussi toujours et espérons que au moins, cette pandémie aura permis à cette révélation (qui devrait être une vérité permanente dans l'esprit de tous) d'atteindre un plus grand nombre de consciences et qu'elle sera suivie d'un rétablissement de budgets décents vers l'hôpital public. Si cela n'est pas le cas, que les gens se battront pour, jusqu'à l'obtenir.

Le slogan de cette cause pourrait être : I care for care (le soin est important pour moi).


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La famille Lazarus confinée et masquée !



Les poèmes à mots perdus

1.04.20


Sally says (Stay Home )


En colère contre le webmaster :

Au Sommeil du Summer

Au soleil, have fun

Have Sun !


My Son save a slow sum

'Seems to be fun !

Sally says : « - Soap on foam will

Lower the sun. Follow my thumb ! »

Willow will know you at noon

That's how things go

When you're at Home !


6.04.20


Je t'ai fait affamé – enflammé -

Dans la forêt des regards

Et fait mère affolée,

Foulée forte !


Vision :

À la surface de la mer,

Des yeux comme des poissons

Empoisonnés sur le paillasson.

Partons sans rémission !


Du vermillon au vermicelle

Paraissait celle, paressait celle...

Des murmures aux larmes endiguées.



Là, dans la rue,

Sur le sol,

Au bord du trottoir nu :


Un espoir rendu au néant

Dans la poussière et le sang.


Ecoute de la carte postale sonore Et fait mère :

https://soundcloud.com/pascale-lazarus/et-fait-mere

Ecoute de la carte postale sonore Harmoniques du réel (sur une lecture de mon carnet d'automne 2018)

https://soundcloud.com/pascale-lazarus/harmoniques-du-reel


6.04.20


-Quel bonheur de te retrouver, jardin ! (« L'enfant et les sortilèges » : l'enfant)


Quel bonheur de te retrouver, symphonie !

C'était le cimetière de la terre

Et sur les pierres a roulé

Une cargaison d'âmes, de larmes

On eut dit un poète enroué

Dans un champ de cyprès


Tant de choses dans cet éclat de cymbale !

Fruit de mon intimité : un cri...

Les cors diluent son amertume

En résonances liquides

Pour quel noyau loyal ?

La liberté confiée aux flûtes

Confine au ridicule

En toute confiance

Aux confins de la science,

De l'attente.


Les harmoniques du réel :


Lettre des abris

Aux arcs endommagés


Aux artefacts

Révélés stériles

Oblitérant l'émerveillement,

La secousse du temps


Artifices entrelacés

Arguant l'assaut

Contre le néant,

La fêlure du temps